Ville apaisée, histoire et développement

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17/9/2023
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Ville apaisée, la genèse

Le centre-ville carrefour

L’urbanisme des villes a été plongé dans le chaos par l’extraordinaire multiplication des automobiles individuelles dès le début du XXe siècle. En quelques décennies, les artères centrales des villes ont été envahies par des flux toujours croissants d’autos, et ceci jusqu’à saturation. Certains centres-villes, à commencer par Paris, n’avaient pas attendu l’avènement de l’automobile pour être congestionnés. Les bouchons parisiens étaient célèbres depuis le XVIIe siècle. Mais les usagers ont très vite remarqué l’impact de la pollution des automobiles à pétrole sur leur quotidien. La pollution par les gaz et les particules sévissait déjà à partir des années 1920.

Le baron Haussmann et le périphérique, une voie sans issue

L’élargissement des voies carrossables, la construction des premières autoroutes, les larges avenues tracées par le baron Haussmann et enfin le boulevard périphérique ouvert en 1973 n’ont fait qu’accentuer l’engorgement jusqu’à la saturation totale de la circulation, contrairement aux espoirs que cette stratégie urbanistique portait.

En ouvrant l’accès à un nombre de véhicules toujours plus important, les aménagements de voiries qui étaient censés libérer l’écoulement des véhicules ont finalement contribué au blocage de la ville. En 2022, les automobilistes parisiens perdent en moyenne 40 min par jour dans les bouchons.

La raison en est simple, mais elle met longtemps à être comprise. Plus on donne de routes aux voitures, plus il y en a. Et comme nous le savons tous par expérience, plus il y a de voitures, moins elles roulent. Cette équation rend inutilisables des segments entiers de voies plusieurs heures par jour, en plus des nuisances sonores, du danger des pollutions de l’air et du stress que tout cela produit.

Après avoir ouvert la ville et ses centres commerçants aux voitures pendant pratiquement un siècle, la politique de la ville a dû faire le constat que pour vivre en ville, il fallait partiellement  bannir la voiture. Cette prise de conscience a vu le jour au tournant du XXe siècle, corrélée à l’obligation de maintenir une meilleure santé publique. Les effets de la pollution de l’air sur le corps humain à travers études et statistiques prouvent que la ville n’est plus soutenable en l’état (6 220 décès par an selon une étude d’AirParif et de l’Observatoire régional de santé [ORS] février 2019). Tout cela, malgré un réseau de transport en commun très développé. Depuis les années 2010, la ville doit être pensée autrement. Son centre et ses quartiers doivent cesser d’être des carrefours embouteillés qui tuent toute vie sociale en plus d’être finalement inutiles à la circulation.

 

Ville apaisée zone 20 borne automatique
La régulation du trafic pour une ville apaisée

Redonner vie à la ville

Les années 1970 voient fleurir des expérimentations dans nombre de villes européennes. Les premières expériences pour réduire la circulation automobile en ville datent du début des années 1970 et ont vu jour dans les pays du nord de l’Europe et aussi en Allemagne. Elles consistaient à mettre en place des aménagements pour piétonniser des zones restreintes autour de secteurs de commerces. Les polémiques qu’elles ont alors suscitées sont les mêmes qu’aujourd’hui, à savoir si un flux automobile est plus favorable au commerce qu’un flux piéton. Il y a en effet des boutiques qui bénéficient de l’attractivité d’un espace piéton (salon de thé, magasins de vêtements) et d’autres qui peuvent en pâtir (essentiellement les boulangeries).

Ces expériences ont essaimé pendant une trentaine d’années pour se fixer progressivement dans les habitudes. On peut souligner qu’en parallèle, se sont développés des centres commerciaux périurbains dans lesquels les usagers se rendaient en voiture pour ensuite les visiter à pied. Les commerces des centres-villes ont donc vu la migration de leurs clients en même temps qu’ils concevaient un changement de comportement. Faire ses courses dans un espace où tout est accessible à pied est devenu une habitude. La ville était donc prête à redonner vie à ses rues marchandes. C’était d’ailleurs dans certains cas une urgence. Il fallait requalifier l’espace public pour que la cité survive.

C’est dans ce contexte que Dumont et Von der Mühll qualifient dans une étude parue en 2006 cette évolution de la morphologie urbaine de « Ville apaisée ».

 

Centre ville apaisée borne sécurité pieton
La ville apaisée, plus qu’un concept, une réalité pour les habitants et visiteurs

Ville apaisée, le concept

Si le terme de ville apaisée est aujourd’hui communément employé, sa définition est plus complexe puisque le concept qui requiert des politiques et des équipements matériels réels relève d’un ressenti.

Où commence et où finit la ville lorsqu’on la parcourt ? On voit, on éprouve des changements que ce soit à pied ou par n’importe quel moyen de locomotion. On se trouve arrêté par un feu, détourné par un sens unique, obligé d’emprunter une voie qui nous éloigne de notre destination, etc. Nous sommes en ville et finalement le carcan s’avère plus important en voiture qu’à pied.

Chaque usager de la ville veut bouger aussi vite qu’il le désire, en toute sécurité et donc sans stress. L’atténuation du stress dépend alors de la fluidité d’un déplacement soumis à un minimum de contraintes ou à une coercition acceptable.

La ville apaisée est donc un ensemble de mesures et d’équipements qui pacifie des flux et d’usages antagonistes au sein d’un même espace et donne aux utilisateurs un sentiment de calme et de sécurité.

De la rue-passage à la rue habitée

La limitation de vitesse et l’organisation du stationnement sont les mesures nécessaires pour transformer une voie de circulation en un espace qui reprend du sens pour ses habitants.

L’abaissement du plafond de vitesse autorisée est considéré comme le premier pas. En effet, si les automobilistes qui traversent un quartier pour se rendre ailleurs sont pressés, leur vitesse nuit à la sécurité, mais également au ressenti des riverains.

L’importance de la vitesse des véhicules métamorphose leur espace de vie en voie de circulation. Sa réduction leur rend une rue adoucie par la sécurité et la diminution des pollutions sonores.

 

Centre ville apaisée - borne sécurité régulation
La rue apaisée, une déclinaison de la ville apaisée

La rue apaisée se décline en « rues aux enfants », de « rues scolaires », de « rues libres » à travers notamment l’engagement d’association de quartier qui veulent reconquérir leur espace de vie.

La matérialisation au sol de voies cyclables participe à la baisse de la vitesse des automobiles. Enfin, l’aménagement et la réglementation du stationnement permettent aux riverains de ne pas voir leur rue se transformer en parking de longue durée. 

Des aménagements ludiques et alternatifs voient le jour à travers des végétalisations (bacs et jardinières) qui contribuent grandement au changement de perception d’une rue. En affirmant le caractère de ses habitants, ces aménagements personnalisés participent à tranquilliser l’espace public tout en améliorant le cadre de vie. 

Différents termes jalonnent la transformation de la rue

La « rue modérée » fait référence à la transformation de la vitesse de circulation d’une voie. Elle emploie différentes techniques : le ralentissement des automobiles, le changement de nature des moyens de transport en favorisant le vélo et la marche.

La « rue civique » est exprimée à travers le discours politique. Ce concept associé à la ville apaisée postule que la convivialité citoyenne (la citadinité) est retrouvée lorsque la vitesse de déplacement décroît. La « rue civique » fait partie des discours institutionnels entourant tout développement urbanistique actuel.

La « rue habitée » conjugue aménagements de voirie et objectifs sociaux dans le but de rendre sereines différentes circulations, du piéton à la voiture, mais également de rendre possible la cohabitation de circulations quotidiennes de nature différente : circulation privée et individuelle, circulation collective et circulation logistique.

4 critères, 4 dimensions

Une rue, segment de voirie, se définit par quatre critères qui sont :

  • Sa norme (largeur de la chaussée, des trottoirs, accès aux immeubles…)
  • Son usage (circulation automobile, passages réservés aux piétons, aux cyclistes…)
  • Sa vitesse (généralement entre 20 et 60 km/h)
  • Sa mixité (au minimum composée de véhicule à moteur, de vélo et de piétons)

Ces critères sont régis ou soumis à 4 dimensions :

  1. La matérialisation de la voie par différents mobiliers et construction (trottoirs, séparateurs de voies, stationnements, ralentisseurs…)
  2. Les normes juridiques qui organisent l’usage de la rue.
  3. Les règles techniques relatives à l’implantation du mobilier urbain et à la circulabilité des constructions.
  4. L’esthétique de l’ensemble.

La ville apaisée se construit donc à travers ces critères et dimensions pour ouvrir et élargir au mieux des espaces vivables.

Ville apaisée, deux stratégies

La ville apaisée gère un double paradoxe dans sa réalisation, celui de la vitesse et celui du confort, deux paramètres antagonistes confrontés à l’attractivité du centre-ville. La vitesse que l’on refuse dans les villes est pourtant recherchée dans tous les modes de transport, des autoroutes aux transports en commun comme le métro ou encore l’avion. L’idée de confort — qui est en ville —, très liée à la sécurité individuelle et collective, va donc buter contre la rapidité de déplacement. On peut même sans ironie observer que la plupart des usagers qui souhaitent flâner dans des rues piétonnes du centre-ville veulent s’y rendre le plus rapidement possible et trouver une place de parking sans la chercher.

 

Centre ville apaisée - zone de rencontre
Zone 20, pour une ville apaisée

L’hypercentre

Les centres-villes ont été les premiers espaces à être pensés en tant que « ville apaisée », ce qui a permis de promouvoir ce concept alors qu’il n’était en fait appliqué qu’à une infime partie de la ville. L’hypercentre a été aménagé en premier pour des raisons touristiques, la mise en valeur d’un patrimoine passe par l’aménagement de son pourtour et de ses accès ; pour des raisons économiques, les centres-villes sont généralement les zones où le commerce est le plus développé ; pour des raisons pratiques, c’est le lieu où les places, les foirails, les mails sont implantés ce qui a facilité l’aménagement de la piétonnisation ; et enfin pour des raisons politiques puisque le centre est généralement la vitrine de la ville.

La reconquête de l’espace public des centres-villes a été à la fois un premier pas et une pédagogie puisque les échecs sont rares. Le développement des zones où il fait bon vivre à travers terrasses de café, de restaurants et commerces de qualité est toujours couronné de succès.

L’apaisement des centres urbains a donc eu un effet de levier pour l’extension de l’application des mêmes règles à des quartiers. Soit par une politique globale de la municipalité soit par une volonté de comités de quartier, d’associations ou de municipalités d’arrondissements pour les plus grandes agglomérations.

Les quartiers

La reconquête des quartiers par leurs habitants a pour effet d’amplifier la vie locale. Les quartiers participent ainsi à la dynamique globale de la ville, convertissant leur statut uniquement résidentiel en espace habité dans toutes ses dimensions.

Le besoin de proximité et le changement des modes de vie en ville dont la mobilité douce sont à porter au crédit de cette évolution. Les quartiers apaisés font renaître des micros centres permettant ainsi l’éclosion ou le retour de rues commerçantes et de lieux de vie autour, par exemple, d’établissements scolaires

Quartier apaisée - rue avec partage pieton voiture vélo
L’apaisement des centres urbains est devenu un impératif pour certains quartiers plus périphériques

Ce développement non centralisé est aujourd’hui une composante à part entière de la politique de la ville. Une agglomération telle que Barcelone a développé une stratégie de « super îlots » pour favoriser la vie de proximité dans un cadre de vie rénové.

La multiplication des aires citadines apaisées apporte à l’agglomération un surplus de confort et de quiétude, car la réappropriation de ces aires par les usagers les plus fragiles que sont les piétons passe par une sécurisation périmétrique et une redéfinition des règles de circulation.

Sa généralisation augmente donc le sentiment de protection et amène au partage de la ville puisque le plus grand nombre accède à cette sécurité au niveau de son espace de vie. L’adaptation des automobilistes à cette nouvelle morphologie urbaine est alors facilitée.

La ville apaisée, les outils

Aménagement matériel et pédagogie sont les deux piliers de la construction de la ville apaisée qui tend à une cohabitation sereine des usagers à travers des déplacements doux dans une mobilité durable. On trouvera donc des :

  • Aires piétonnes,
  • Aires de stationnement réglementées,
  • Aires de circulations alternées,
  • Zones 30,
  • Zones de rencontre,
  • Sécurisations de zones piétonnes,
  • Sécurisations des voies cyclables,
  • Transports en commun sur sites propres,

La mise en œuvre de ces outils se fait à travers des normes et règles ; à travers l’utilisation de la gamme du mobilier urbain (bornes et potelets) et de ses technologies (totems de commande), dans un souci de convivialité et d’esthétisme.

Mobilier urbain- borne securité stationnement
Mobilier urbain- borne sécurité stationnement

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